Dans le cadre de la commémoration du 08 mai, les enfants du CCJL ont participé à ce devoir de mémoire en proposant à ceux venus se recueillir une lecture de textes.
Nous vous présentons ici l'un de ses textes, celui de Michel, 8 ans en 1944, témoin direct de l’Occupation et de la Libération, vivant dans le village de Mainvilliers près de Chartres.
L’Occupation était marquée par la présence constante des soldats allemands. Ils étaient partout, en uniforme, armés, imposant leur autorité silencieuse mais redoutée. Chaque promenade en ville était une source d’angoisse : un simple regard mal interprété, un geste malencontreux pouvait déclencher la fureur.
Le rationnement rendait la vie quotidienne difficile. On manquait de tout : pain, sucre, beurre, viande. Les tickets d’alimentation étaient devenus notre sésame pour survivre, mais ils étaient étroitement réglementés et jamais suffisants. Ma mère cultivait des pommes de terre, des haricots verts, des carottes dans notre petit jardin. Rien n’était perd ; les épluchures nourrissaient les poules que nous élevions clandestinement.
Pour nous, les enfants, tout cela semblait énigmatique. On comprenait que quelque chose d’important se produisait, mais sans en saisir la pleine mesure. Ce que je ressentais surtout, c’était une tension nouvelle dans l’air, une espèce de fébrilité dans les regards des adultes. Ma mère nous demandait de rester sages, de ne pas poser de questions à l’école, de ne surtout rien répéter de ce qu’on entendait à la maison.
Les bombardements étaient effrayants. Le bruit des sirènes, d’abord lointain, grossissait en un hurlement strident. Nous abandonnions tout en un instant pour descendre à la cave, les bras chargés d’un peu d’eau, de couvertures et de quelques biscuits. Dans l’obscurité, nous écoutions les avions vrombir au-dessus de nos têtes. Quand les bombes tombaient, la terre tremblait sous nos pieds. Les murs de la cave semblaient respirer à chaque souffle des explosions. A chaque accalmie, nous avions peur de remonter. Le silence était aussi effrayant que le bruit, car il était rempli d’incertitudes.
Les jours précédant la Libération, la tension était à son comble. Les soldats allemands se faisaient plus rares. Les rumeurs circulaient : « Les Américains approchent. Les Allemands battent en retraite. » Puis un matin, on a entendu les premiers tirs. Ce n’était pas loin. Les habitants se cachaient, priaient. Les heures passaient dans une attente oppressante. Puis, vers midi, les cloches ont sonné à toute volée : Mainvilliers était libre !
Les gens sont sortis dans les rues, agitant des drapeaux tricolores cachés depuis quatre ans. Les soldats américains, dans leurs uniformes impeccables, distribuaient des chewing-gums, des cigarettes, des bonbons. C’était un moment d’une joie indescriptible.
Je me souviens du sourire de ma mère. Un sourire que je n’avais plus vu depuis longtemps, un sourire vrai, sans peur. Mon père, pourtant très réservé, était allé embrasser l’un des soldats. Ce geste avait quelque chose de sacré. Nous avons passé la soirée à danser, à chanter, à écouter la radio qui rediffusait les communiqués de victoire. Je crois que je n’avais jamais ressenti une telle euphorie.
La première chose après la Libération était la fin de la peur constante. Nous pouvions sortir sans craindre d’être arrêtés, parler sans chuchoter. Les écoles ont rouvert normalement, et les professeurs nous parlaient de liberté, d’égalité, de fraternité.
Mais la reconstruction était longue, difficile. Les maisons étaient à rebâtir, les routes à réparer. Et puis, il y avait les absents. Certains voisins, partis au front ou arrêtés pendant l’Occupation, ne sont jamais revenus. Il y avait des sièges vides à table, des regards absents. La paix, la démocratie, ne sont jamais définitivement acquises. Elles doivent être protégées chaque jour, par l’éducation, la mémoire, l’engagement citoyen.